El siguiente artículo es una entrevista realizada al ICEA por El Libertario de Venezuela y traducida al francés para Le Monde Libertaire en el número 1.561 del 18 de junio de 2009.
Anarchisme et économie
Le Monde libertaire avait déjà évoqué l'initiative de l'ICEA (Institut des Sciences Economiques et de l'Autogestion) créé en Espagne en 2008. A l'occasion de la réalisation du numéro 1 de ses Cahiers Economiques consacré à « La crise économique et les résistances ouvrières », nous vous proposons ci dessous la traduction d'un entretien publié par nos camarades vénézueliens dans leur journal « El libertario ».
Comment est né l’ICEA?
Nous avons vu l'intérêt collectif de fonder un centre complet, virtuel pour l’instant, mais avec l’idée de le rendre physique avec le temps. Ce centre, à partir de notre position politique, devait traiter nécessairement le sujet de l’autogestion, qui est la principale contribution de l’anarchisme à la pensée économique ; mais en plus, nous pensons que nous pourrions apporter des connaissances économiques aux mouvements anarchistes et anarchosyndicalistes, et réciproquement, une perspective libertaire dans ces autres mouvements de la mouvance de l’économie critique.
C'est ainsi, et ceci est un facteur important, que ceux d’entre nous qui formèrent l’ICEA au départ, partageons différentes préoccupations et formations pour ce qui est des différentes branches de l’économie politique. Grâce à cela, nous avons la possibilité d’impulser des groupes d’études dans divers champs : pensée économique et théorie économique, économie et sociologie du monde du travail, politique économique, du monde du travail et sociale, économie mondiale, développement économique, économie territoriale, économie écologique, etc… En plus, nous sommes unis par l’intérêt d’approfondir l’étude des aspects théoriques, historiques et pratiques, relatifs à l’autogestion ouvrière et sociale prise comme alternative au capitalisme.
On dit habituellement que l’anarchisme a un complexe d’infériorité par rapport au marxisme, au moins sur le terrain de l’économie. Comme entité culturelle libertaire, que pouvez vous répondre à cela?
Nous croyons qu’annexer la paternité de tous les « bons » apports de la théorie économique à un seul corpus théorique comme le marxiste, n’est pas scientifiquement honnête. L’économie marxiste s’est vue influencée d'abord par les socialistes français, les philosophes allemands et les économistes anglais, surtout David Ricardo. De façon plus contemporaine, beaucoup d’auteurs marxistes se sont vus influencés par les théories d’auteurs institutionnalistes comme Veblen, postkeynesiens comme Kalecki en macroéconomie ou néoricardiens comme Sraffa dans la microéconomie. C'est pourquoi, pour ce qui nous concerne, si nous définissons le complexe d'infériorité comme la sensation de ne pas avoir développer d'outils pour analyser correctement les évènements économiques à travers chaque étape de l'histoire, le marxisme aussi a ou a eu un complexe d'infériorité face à d'autres courants de pensée économique et sociale dans différentes époques historiques (par exemple, la récupération économique de la grande dépression de 1929).
En tous cas, il est honnête de reconnaître que l'économie marxiste et néomarxiste aujourd'hui est peut-être l'outil le plus puissant d'analyses du capitalisme à partir d'une optique anti-capitaliste. D'autre part, cette présence majeure du marxisme est aussi dûe à sa capacité à s'étendre, favorisé en bonne partie par le fait qu'il n'a pas manqué de gouvernements qui se sont revendiqués de ce courant idéologique, facilitant ainsi l'expansion des appareils de
propagande et réduisant au silence une quelconque dissidence. Ainsi, il est encore assez évident que, par exemple, dans l'Académie, les départements (critiques) d'économie sont peuplés de marxiste de divers types, pendant que les anarchistes sont plutôt dans ceux d'histoire. Ceci a à voir avec une certaine spécialisation qui fait que l'anarchisme, historiquement, est un peu carencé en capacité analytique pour la dynamique économique, pour autant que ses apports politiques ou dans d'autres champs soient de valeur indiscutable. Ainsi, pendant que les marxistes se sont chargés, et dans de nombreux cas, très bien, de la critique de la dynamique capitaliste, l'anarchisme s'est centré sur des aspects plus constructifs (l'exemple type est celui d'Abraham Guillen, mais par exemple, Abad de Santillan a évolué dans cette trajectoire identique). Ceci a fait que dans des sphères comme ceux de l'économie critique ou hétérodoxe, les énoncés anarchistes aient été traités d' »utopiques » ou simplement dédaignés parce que le débat était dans la critique et l'analyse du capitalisme.
Mais ce faisant, l'anarchisme a beaucoup mieux développé les aspects philosophiques et sociologiques, et de fait, beaucoup de courants néo-marxistes se sont, depuis les années 60, appropriés certaines thématiques anarchistes sur la critique du pouvoir, l'autorité, sur le questionnement du rôle de l'Etat, etc... En ce sens, depuis les années 60, les mouvements sociaux commencent à revendiquer de nouvelles pespectives, et l'autogestion reprend sa centralité comme projet politique... D'autre part, également dans le champs de l'économie, l'anarchisme a agi plus et mieux que le marxisme sur le plan pratique, tant dans les syndicats que dans les coopératives, en offrant des alternatives de transformation plus profondes et avec de meilleurs programmes d'action pour construire une société sans classes, comme la Révolution Espagnole de 1936 l' manifestement amené, par exemple...
La théorie économique de l'anarchisme a-t-elle retiré quelque chose du marxisme?
Sans doute, oui. En bonne partie, toute l'analyse économique anticapitaliste se base sur l'analyse économique de Marx, et ceci touche les anarchistes bien sûr, et c'est seulement à partir de positions certainement dogmatiques que l'on peut rejeter son utilisation. De toute façon, il est nécessaire de nuancer et de clarifier que le marxisme ne surgit pas spontanément, et que si ce dont il s'agit c'est d'analyser correctement le système capitaliste dans chaque étape historique , il y a des auteurs et des courants contemporains ou postérieurs très interessants... Nous anarchistes, pouvons profiter en grande partie des postures marxistes pour expliquer la réalité économique et apporter des contributions pour construire notre propre théorie économique comme forme d'analyse du capitalisme.
Le problème, ce n'est pas le néo-libéralisme mais le capitalisme.
Quelle critique faites vous au néo-libéralisme régnant ? Croyez vous que c'est le néo-libéralisme qui nous a mené à la crise actuelle?
Le néo-libéralisme a sans doute permis que la crise ait adoptée la forme qu'elle a. Les processus de dérégulation des années 80 et quatre vingt dix pour essayer de restituer une rentabilité qui avait été notablement affaiblie avant même les années soixante, donnèrent lieu à cette surimportance des capitaux financiers qui mirent en échec -une fois de plus- la stabilité du système. Il y eût un alignement des politiques économiques qui supposa une attaque frontale à la classe travailleuse, dont sorti un bénéficiaire, surtout, un segment de la classe capitaliste: la classe financière.
Ainsi donc, c'est le capitalisme qui est en crise et non pas le néolibéralisme (scientifiquement, il n'a jamais cessé de l'être (en crise): seule la médiocrité académique et le Pouvoir peuvent justifier par des livres et de la façon dont il l'a fait qu'elle se soit approfondie). Le néolibéralisme a été la forme concrète dans lequel ont été configurées les politiques économiques de presque tous les pays du monde. Mais ces politiques n'ont pas d'autres objectifs que de réduire les conquêtes historiques des travailleurs pour pour que le capital puisse continuer à agir à son gré... Nous savons que nous évoluons dans un système capitaliste fondé sur l'exploitation, l'autoritarisme et la recherche de l'accumulation et du profit. Tout ceci implique que l'économie capitaliste est instable par définition et que malgré qu'elle soit très régulée elle subira des crises de façon certaine.
Que proposerait l'économie libertaire comme solution pour dépasser cette crise capitaliste?
Comme anarchosyndicalistes, nous croyons que la posture doit être double: en premier, en résistant aux assauts du capital pour défendre ces conquêtes historiques déjà mentionnées (comme la santé publique, sans aller plus loin); mais, en second lieu, et c'est le plus important, ne pas perdre la perspective anticapitaliste et libertaire: c'est seulement au travers d'un mouvement organisé fort que l'on pourra exercer la pression suffisante pour , par exemple, exiger que les entreprises mises en faillite passent aux mains des travailleurs, qui pourront les organiser en autogestion, et que leurs directions prennent en charge, y compris avec leur patrimoine personnel, des pertes. On ne peut pas permettre que l'Etat vienne au secours, avec l'argent des travailleurs, qui sont ceux qui majoritairement financent les Etats, au secours de ces entreprises quand ceux qui les ont menés à la faillite ont des patrimoines qui, bien distribués, pourraient générer beaucoup de richesse sociale. Avec cela nous créérions en même temps un mécanisme qui empêcherait qu'augmente le chomage, ce qui donnerait plus de force aux travailleurs pour exiger d'autres revendications. La lutte et la mobilisation sont nos seules armes pour faire en sorte que de la crise nous ne sortions encore plus touchés que nous ne le sommes déjà, et surtout pour conduire à une profonde transformation du système économique comme celle que nous espérons. Avant tout, comme travailleurs organisés, nous devons exiger que la crise économique soit payée par ceux qui la provoquent, c'est à dire le patronat versus financier ou productif. Que surtout les grandes firmes financières, nationales et internationales, paient les politiques d'ajustement.
Que manque-t-il pour que les travailleurs puissent autogérer l'économie? Cela serait-il faisable aujourd'hui?
Nous, nous pensons qu'au niveau des entreprises, c'est possible. Personne ne peut mieux mener les entreprises que ceux qui y travaillent, qui sont aussi ceux qui feront les meilleures propositions à long terme pour la continuité de leurs postes de travail. Cependant, quand les entreprises sont gérées par des directions au service des actionnaires (leurs propriétaires), la gestion se limite à maximiser la valeur des actions, c'est à dire, avec des visions à court terme qui ont comme résultat l'augmentation de la précarité et des conditions de travail qui empirent (et comme on peut le voir, avec une plus grande instabilité y compris pour le système lui même).
Au niveau de toute l'économie il faudrait aller petit à petit. Mais justement la reprise d'entreprises en crise est une grande gymnastique révolutionnaire, et c'est ainsi que cela commença pour la révolution de 1936. Dans ce cadre, cela ne nous paraît possible aujourd'hui même, parce qu'il est nécessaire de réaliser avant un travail important de recherche et de diffusion des modèles autogestionnaires, pour qu'ils s oient élaborés connus et appliqués par la classe travailleuse. D'autre part, et comme l'ont indiqués à juste titre beaucoup d'auteurs libertaires ces dernières années, nous devrions nous interroger si nous voulons autogérer toutes les entreprises. Mieux encore nous devrions nous questionner sur le mode de production, tant au niveau énergétique, que sur le sens de la production. De cette manière et dans les grandes zones métropolitaines comme Madrid et Barcelone, une multitude d'entreprises et jusqu'à des secteurs de production, disparaitraient. D'autre part, la concentration de la population dans les grandes villes, avec ce que cela comporte et pas seulement à un niveau écologique, mais aussi au niveau socio-économique, politique et de qualité de vie, devraient nous faire penser que peut-être, le plus positif d'un point de vue anarchiste et humain, serait de commencer un processus de ruralisation sociale.
D'un autre point de vue, plus fondamental peut-être, il existerait la possibilité d'autogérer l'économie si une organisation anarchosyndicaliste connaissait une affiliation massive, et pour cela cela, supposerait d'avoir avancé précisément dans cette gymnastique révolutionnaire... Comme on peut le déduire, nous ne sommes pas dans cette situation et pourtant l'autogestion généralisée ne nous paraît pas faisable sans ce préliminaire. Pour autogérer l'économie il est incontournable d'avoir une présence et d'impulser l'autoorganisation ouvrière à partir des entreprises au moyen d'un syndicat, en impulsant à la fois la fédération tant au niveau local qu'au niveau sectoriel ou territorial. De même, ceci implique un changement de mentalité et un développement culturel important, dans les disciplines économiques et sociales, au sein de la classe travailleuse. C'est seulement de cette façon qu'il pourra se faire une planification sociale de l'économie, partant de et pour la classe travailleuse.
Pour finir, nous croyons que « l'autogestion » à partir d'en haut, depuis l'Etat, comme les modèles yougoslaves du passé et vénézuelien actuel sont en réalité des modèles de cogestion, et il a été démontré qu'ils ne solutionnent pas les problèmes que pose la réalisation d'une société sans classes sociales ni exploitation économique.
Pour plus d'informations sur l'ICEA: http://iceautogestion.org
Source: El Libertario (Caracas, Vénézuela), n°56, mai juin 2009.
Traduction par Daniel (Groupe Gard Vaucluse).